25/02/2010
Abhinavagupta - La Liberté de la conscience
Durant l'Âge d'or de l'Inde, le Cachemire fut le coeur vivant
du Tantra, ce vaste mouvement qui cherche à réconcilier
spiritualité et sensualité.
Ce livre est une introduction à l'enseignement du génie
le plus fulgurant du Tantra, Abhinavagupta (Xe siècle).
Il nous fait voir dans l’existence humaine le jeu de l’absolu
jouant à s’oublier dans les choses de ce monde pour ensuite
mieux s’y reconnaître. Abhinavagupta se donne corps et âme
à cette reconnaissance du Soi divin à travers les joies et les
misères de la vie quotidienne, partageant son expérience
paradoxale avec rigueur et vigueur, en mélangeant des registres
que l’Occident oppose. Chez lui, l’expérience et la théorie,
l’intellect et la vie, l’art et l’ascèse, la philosophie et la religion
se conjuguent pour réveiller la conscience libre depuis toujours,
mais assoupie dans ses habitudes mécaniques. Sa métaphysique
s’enracine toujours dans l’expérience. Maître de la parole,
Abhinavagupta n’oublie jamais de s’abreuver à la Source.
Sans moralisme, Abhinavagupta esquisse, au fil des extraits
présentés dans ce livre, une véritable voie d’exploration et de
célébration de la liberté. Loin de tout formalisme religieux ou
conceptuel, il joue de tous les registres du savoir disponible
en son temps pour s’émerveiller et entraîner son lecteur.
Cette oeuvre intéressera le chercheur d’aujourd’hui par sa
dimension universelle et pratique. Sans exotisme, sans
dogmatisme, elle va droit à l’essentiel. Chaque extrait proposé
veut être une ouverture possible vers l’essence de notre être.
19:18 Écrit par David Dubois dans Général | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : eveil, tantra, abhinavagupta, yoga, pratyabhijna, shivaisme du cachemire | Facebook |
22/08/2009
Lectures du Vijnâna Bhairava
Rencontres autour du Vijnâna Bhairava Tantra
Lectures de textes du shivaïsme du Cachemire animées par David Dubois
Chaque séance a lieu un dimanche sur deux de 14 à 16 heures à Nogent sur Marne, non loin de Vincennes. Aucune connaissance du sanskrit n'est requise. Des photocopies du texte translittéré sont distribuées.
Si vous souhaitez venir, nous vous demandons juste d'écrire à l'auteur du blog afin de recevoir l'adresse où se tiendront ces rencontres.
12:44 Écrit par David Dubois dans Tantrisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tantra, tantrisme, abhinavagupta, vijnana bhaira, shivaisme du cachemire, yoga | Facebook |
07/03/2008
Au Coeur des tantras

16:34 Écrit par David Dubois dans Reconnaissance | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : pratyabhijna, reconnaissance, tantra, tantrisme | Facebook |
14/09/2007
Je savoure l'Essence
Je goûte sans trêve mon propre Soi impérissable, radieux, indéfinissable, qui embrasse tout, éternelle, débordante de la joie de n’être que Conscience. 214
L’Essence est éternellement réalisée. Elle n’est pas à atteindre ou à réaliser. Celui qui nourrit le désir de (la) réaliser ou de l’atteindre sera toujours autre que Shiva. 215
[« souffle » traduit ici spanda, littéralement « vibration ». Ce terme désigne souvent l’Essence (svarûpa), mais ici il me semble faire référence au mouvement du souffle, avec son alternance inspire-expire, archétype de tous les couples de contraires (jour-nuit, soi-autrui, etc.).]
Je demeure à tout instant sans second. C’est en moi qu’apparaît cette corporalité que voici. Les phénomènes se manifestent à la suite de l’apparence du corps. Tout se passe alors pour moi (comme) s’ils me dérobaient la conscience. 219
Râmeshvar Jhâ, La liberté de la conscience
12:26 Écrit par David Dubois dans Reconnaissance | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pratyabhijna, reconnaissance, tantrisme, tantra, yoga, shivaisme du cachemire | Facebook |
05/09/2007
La différence entre la pure conscience et l'état de Shiva
[« L’omniprénétration du Soi » désigne l’absorption dans la pure conscience que recherchent les adeptes de l’Advaita Vedânta ou du Sâmkhya. « L’omnipénétration de Shiva » est l’absorption en Shiva, qui est à la fois pure conscience ET activité. D’où sa supériorité, selon l’auteur. En clair, cela veut dire que les yogins du Sâmkhya considèrent les pensées, les émotions et la vie ordinaire comme des ennemis à fuir ou a éliminer. Dès qu’ils sortent de leur méditation profonde (nirvikalpasamâdhi), les pensées etc. réapparaissent, et ils ont l’impression de perdre leur sérénité. Pour les yogins shivaïtes en revanche, à l’absorption sans pensée succède « l’absorption-les-yeux-grands-ouverts », à laquelle la pensée participe (« Je suis tout cela »), ainsi que le corps et les sens ; « l’Egale » est l’avant-dernière étape de l’énoncé d’une syllabe telle que OM. C’est une forme très subtile de la conscience/Parole.]
Lorsque l’on perçoit touts les objets sans aucune séparation comme reposants en soi, c’est alors qu’apparaît l’état de Shiva, qui consiste à être identique à tout. 211
Râmeshvar Jhâ, La liberté de la conscience.
11:23 Écrit par David Dubois dans Reconnaissance | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : reconnaissance, pratyabhijna, tantra, tantrisme | Facebook |
01/09/2007
Il deviendra Shiva
L’adepte qui voit le Réel, devenu le Soi de tout et reposant en son propre Soi, ne s’égare pas dans les phénomènes distincts. 197

Le but à atteindre n’est pas à atteindre pour moi, car il n’est autre que le sens du mot « je ». Il est à tout moment réalisé. Que reste t-il à accomplir ? 198
Tous les phénomènes subsistent en moi et ne surgissent que de moi. Ils me trompent, (mais) une fois vue l’Essence du Soi, ils se résorbent. 199
Je suis Shiva, sans second, évident, égal, constamment homogène, indépendant, m’adonnant spontanément au jeu de la liberté tout en faisant apparaître (l’ensemble des phénomènes) depuis le vide jusqu’au corps. 203
(Au contraire, l’être ordinaire) délaisse la Reconnaissance (du Soi), acquiert du même coup l’état d’âme (limitée). Vaincu dans le corps par le Soleil et la Lune [l’expir et inspir, etc.] , il devient un mortel. 205
Râmeshvar Jhâ, La liberté de la conscience
19:47 Écrit par David Dubois dans Reconnaissance | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : pratyabhijna, reconnaissance, tantra, tantrisme | Facebook |
10/08/2007
Comment la Lumière pourrait-elle être occultée par sa propre ombre ?
Je suis la Mère de toutes les apparences, le Fondement et le Destructeur. Comment cet (univers) impermanent pourrait-il occulter celui qui est Profond (majja), éternel, affranchi de toute peine, à la Forme éclatante ? 190
Je suis Un, éternel, toujours apparent, entier, contenant tout, constant, égal. Cette dualité de la Mâyâ, apparente en tant que cause de l'accroissement des différentes phases de l'existence (vikâra : naissance, âge adulte, âge mûr, vieillesse, maladie et mort), n'est pas mienne ! 191
Ô Seigneur ! cette lumière des Trois Mondes (Terre, Ciel et Paradis) qui partout te suis, elle brille par ta Lumière. Tu es cette (Lumière) qui ne vacille pas et qui ne peut être cachée par cette ombre qu'elle projette. 192
Cette (Lumière) aux formes innombrables est perçue comme cette activité qui va se dilatant au travers d'une Apparence toujours nouvelle, inséparable de l'acte de conscience (vimarsha). 193
Celui qui a complètement abandonné la contraction librement assumée par la conscience perçoit intégralement et directement, pour lui-même, cette Essence infinie. 194
Pour qui a l'intuition inébranlable de sa propre Essence omniprésente, pour qui éprouve le Soi après avoir abandonné (l'identification) au corps, pour celui-là rien n'est difficile à obtenir ! 195
Je suis avant toutes choses. Je suis la Lumière des lumières (ou : "Celui qui fait apparaître toutes les apparences"). A part moi, qui suis évident, il n'y a aucune autre lumière (ou : "aucune autre source des apparences"), . 196
Râmeshvar Jhâ, La liberté de la conscience
12:01 Écrit par David Dubois dans Reconnaissance | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : pratyabhijna, reconnaissance, utpaladeva, abhinavagupta, tantra, tantrisme | Facebook |
06/08/2007
L'Un et le Multiple
Je suis Un et sans second. (Shiva) fait apparaître l’univers entier ici-même, en moi, dans l’Apparence. Ayant fait apparaître (l’univers) dans l’intellect, dans le corps et aussi à l’extérieur, il me lie, moi qui suis consumé par les dilemmes. 185
L’Espace est Un. De même, l’Air, le Feu, l’Eau et la Terre, à la fois divisée et indivise. De même, notre Soi est toujours absolument Un. Il est aussi ce qui fait apparaître toutes choses, (c’est pourquoi) il apparaît comme différencié. 186
Bien qu’Un, il est perçu comme multiple et différencié par le temps et le lieu. Bien que multiple, il atteint l’unité à travers le lieu, le temps et la finalité. [Par exemple, une graine, l’eau et la terre concourent à engendrer un arbre]. 187
Ce jeune arbre du monde sensible, fait des mots et de leur sens, existant à l’intérieur mais apparaissant « à l’extérieur », est tout entier apparut spontanément. Quand je le vois se dissoudre en moi, je me réjouis. 188
Pour l’être accomplit, le royaume de la méditation profonde (samâdhi) dans laquelle tout est assimilé au Soi, est en vérité accompli. Il n’a pas à le devenir. Au contraire, pour l’être asservi dont l’intelligence n’a pas abandonné l’identification au corps, ce royaume demeure invisible, même après des centaines d’efforts. 189
Râmeshvar Jhâ, La liberté de la conscience
10:12 Écrit par David Dubois dans Reconnaissance | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : tantra, pratyabhijna, reconnaissance | Facebook |
08/07/2007
La danse de la yoginî
Le chant, la danse et les arts de la scène occupent une grande place dans les tantras, et cela depuis le shivaïsme ancien, celui des adeptes du Maître des Bestiaux (pâshupatâh).

Cette place centrale se retrouve dans les tantras ésotériques du bouddhisme, dont les pratiques ont été conservées au Népal. C'est ainsi qu'on y trouve les chants des adeptes accomplis (mahâsiddhâh) mis en musique, dans différents modes, ou râgas. Cette pratique est encore bien vivante au Népal, comme en témoignent ces spectacles. Bien sur, les éléments sexuels ont été expurgés (notamment la nudité), mais l'essentiel, me semble t-il, demeure.
Une danse de la yoginî. Notez le chant en accompagnement, remarquablement sobre, et d'un style assez original par rapport à la musique hindoustanie.
Un deuxième exemple de la même danse.
Une danse "des cinq Târâ". On comparera avec cette danse par des nonnes tibétaines.
Vajrapâni, le Gardien des Secrets.
La Dâkinî à tête de lion, Singhamukhâ : un exemple de divinité "courroucée".
Et enfin, le ballet des"divinités d'offrande", qui offrent au maître et aux bouddhas seizes délices, à commencer par la danse, la musique et le chant (nritta-vâdya-gîti)
11:13 Écrit par David Dubois dans Tantrisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : vajrayana, yogini, caryagiti, tantra, tantrism, vajrayogini | Facebook |
22/06/2007
Alexis Sanderson
L'un des plus grands chercheurs sur le shivaisme du Cachemire est le professeur Alexis Sanderson d'Oxford. Il a désormais son site, sur lequel on peut télécharger ses principaux articles.

Son article de 1988 Saivism and the Tantric Traditions reste indispensable pour se faire une idée de l'organisation des différents courants du tantrisme de l'âge classique (IV-XII siècles).
En ce qui concerne le bouddhisme tantrique, il montre dans un article de 1994 combien le bouddhisme a plagié consciemment - et de manière critique - le shivaisme pour se constituer. Le tantra de La Roue du Temps (Kâlacakra) en est l'exemple le plus aboutit. En revanche, un tantra comme celui de Cakrasamvara a "copié" des passages de tantras shivaïtes verbatim. Du coup, certains de ces passages sont devenus incompréhensibles dans un contexte bouddhiste (Sanderson donne un exemple dans un article fort technique mais passionnant : "History Through Textual Criticism", pp. 44-47)...
Enfin Sanderson, qui a étudié auprès du maître Lakshman Joo (voir la photo ci-dessus), est aussi réputé pour sa rigueur et ses critiques, particulièrement à l'endroit du travail de Lilian Silburn. Voyez par exemple son évaluation de la traduction par Silburn du commentaire de Kshemarâja aux Shiva Sûtras. Les remarques de Sanderson sont dures mais exactes, et il est incontestable que Silburn a déformé sa lecture des textes pour l'adapter à l'enseignement de son gourou - qui était un soufi - et que ses traductions sont souvent inexactes, sans parler de l'aspect historique ou philosophique, qui lui échappe complètement. Cela étant, ses livres restent magnifiques et profonds.
D'un autre côté, les études de Sanderson manquent, à mon (très) humble avis, de la problématisation nécessaire quand on aborde des oeuvres à caractère philosophique. Cependant, il a livré récemment un commentaire impressionant à l'introduction du Tantrasâra d'Abhinavagupta. De plus, il a écrit un article sur la philosophie bouddhiste (école sarvâstivâda) !
Sanderson est un virtuose du sanskrit et manie les manuscrits avec une aisance stupéfiante. On ne peut que le respecter, tout en regrettant qu'il ne publie pas davantage, et qu'il ne livre pas plus de réflexions d'ensemble sur l'oeuvre d'Abhinavagupta.
11:36 Écrit par David Dubois dans Tantrisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : sanderson, shivaisme, cachemire, tantra, tantrisme, abhinavagupta | Facebook |
13/06/2007
Tantrisme extrême
Le shivaïsme est une vieille religion. Ou plutôt, un ensemble de religions, assez distinctes les unes des autres mais toutes révélées ou inspirées par Shiva, un peu comme le christiannisme, le judaïsme et l'islam se réclament tous du Dieu d'Abraham.

Parmi ces courants, l'un des plus anciens et des plus curieux est celui des Pâshupatas, ascètes au corps couvert de cendres et vivants dans les champs de crémation. Vers le IVème siècle, leur ont succédé les Kâpâlikas ("Crâneurs"), qui devinrent rapidement une figure de l'imaginaire indien. Ils sont l'objet de nombreuses satyres dans les pièces de théâtres et farces de l'Inde médiévale. Ils boivent, copulent et se livrent à toutes sortes de pratiques antinomiques. C'est dans leur milieu que va s'élaborer, des IV ème au XII ème siècles, la littérature des tantras, avec leur symbolisme érotique ou morbide.
Que sont-ils devenus ? Les Nâtha, "inventeurs" du Hâtha-yoga, sont toujours présents en Inde et au Népal, bien que largement corrompus par la mafia du BJP, du RSS et du VHP... Leur chef actuel (Avedya Nâth) est, comme souvent dans le Nord de l'Inde, à la fois député et brigand notoire.
L'une des sectes qui peut se réclamer de la parentée des Kâpâlikas de l'Inde ancienne est celle des Aghoris, peu nombreux mais que l'on peut encore croiser sur les ghats de Bénares. Malheureusement, je ne les ai ni filmé ni même photographié. Cependant, voici un excellent documentaire anglais sur l'un d'eux à Haridvar non loin de Rishikesh. Le personnage est attachant. Originaire du Bihar l'état indien qui compte le plus de guérisseurs tantriques - on l'accompagne dans une partie de son parcours intérieur et extérieur. Sa pratique donne une idée de ce que pouvait être celle des ascètes de l'Inde médiéval et des adeptes du bouddhisme tantrique. On voit que Râm Nâth désobéit à son gourou et ne craint pas de rendre visite à sa famille ou à des prostituées de Calcutta. Une existence libre mais risquée.
Un autre document, filmé sans doute à Bénares, où l'on voit un aghori manger un morceau de chair humaine. Ce petit film, réalisé par et pour des Indiens, donne un aperçu assez juste de l'image que les Indiens eux-mêmes se font du tantrisme, qui finalement est pour eux l'équivalent de ce que l'occultisme et de l'astrologie sont chez nous. Dans cette série ("kaal kapaal mahakaal"), vous pourrez également regarder d'autres documents intéressants sur le tantrisme contemporain, avec notamment un gourou buvant des litres de whisky devant ses fidèles et des rituels d'exorcisme.
Enfin, un documentaire de qualité fait par le National Geographic. L'alcool y est omniprésent. J'ai assisté à des rituels à base d'alcool dans un temple dédié à Batuk Bhairava. Mais les adeptes ne consommaient rien. Toute la nourriture, imbibée de vodka, était donnée aux chiens. En revanche, il était obligatoire, pour pouvoir assister à la cérémonie, de boire au moins trois coupelles de whisky !
A travers ces films, on mesurera la distance entre ce tantrisme rustique et le néo-tantrisme californien raffiné...
15:30 Écrit par David Dubois dans Général | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : tantra, tantrisme, sadhu, aghora, aghori, varanasi | Facebook |
08/06/2007
Archéologie de la perfection
Un article a été publié récemment en anglais, qui confirme, me semble t-il, les hypothèses que j'avais avancé sur l'histoire de la tradition contemplative tibétaine de la "Grande Complétude" (dzogchen).

L'auteur en est David Germano, qui coordonne le "Projet Samantabhadra", visant à mettre en ligne les différentes collections de textes apparentés au dzogchen.
Je dis bien "différentes", car l'un des premiers résultats de ses recherches est qu'il n'existe pas un dzogchen, mais bien plusieurs, et qui se sont élaborés en opposition les uns aux autres. L'utilisation d'un terme unique pour désigner tous ces courants cache la réelle diversité d'une littérature qui s'est constituée sur plusieurs siècles (du VIIIème au XIVème siècle).
En gros, il distingue un dzogchen "ancien", qui est le dzogchen à l'état pur, d'un dzogchen "tantrique", ritualisé et présenté dans le contexte de la "culture des champs de crémation" propre aux tantras bouddhiques, eux-mêmes puisants cette esthétique "funéraire" (divinités "courroucées", volcans, etc.) dans le shivaïsme.
Le dzogchen ancien (VIIIème-XIème siècles) se caracérise par le rejet de tout rituel et de toutes les techniques, y-compris tantriques. Les textes de ce dzogchen ancien se présentent sous forme de poésies et cherchent à provoquer une conversion radicale chez le lecteur. Le mot "dzogchen" n'y figure pour ainsi dire pas.
A partir du XIème siècle, apparaissent d'autres textes, se présentants comme supérieurs aux précédents. Ce sont eux qui vont évoluer pour former "L'essence du Coeur" (Nyingthig), dont se réclament tous les adeptes du dzogchen contemporain. On y assiste au retour progressif de l'esthétique tantrique "funéraire", et l'accent porte désormais sur les techniques visionnaires (thogal), elles-mêmes d'origine tantrique (kâlacakra, guhyasamâja...). Cependant, le dzogchen ancien reste présent sous la forme de texte poétiques et anti-techniques (c'est le fameux trekchod).
Depuis le XVième siècle, le dzogchen se réduit à cela. Cependant, ce retour de la "technique de l'Eveil" a rencontré des résistances. D'où l'apparition de multiples courants au sein même du dzogchen "tantrique".
On peut ainsi distinguer trois phases :
1- Le Nyingthig ancien, qui propose un dzogchen révélé dans le cadre du panthéon des "divinités paisibles et courroucées" du célèbre "Livre des morts tibétains". On y trouve des descriptions détaillées et variées de l'expérience de l'au-delà (bardo), ainsi que nombre de techniques empruntées, comme souvent, à des tantras shivaïtes (notamment les pratiques pour "tromper la Mort" - kâlavancanam).
2 - Le Tchiti, "révélé" par des "découvreurs" (terton) comme Gourou Chöwang et Nyangrel Nyima Öser. La principales nouveauté est ici l'organisation de tous les enseignements autour de la figure de Padmasambhava. Celui-ci, en effet, ne figure pas dans le Nyingthig ancien (centré quant à lui sur un autre personnage de légende : Vimalamitra), et encore moins dans le dzogchen ancien... Germano note que Nyangrel a voulu revenir au dzogchen radical "ancien", en séparant clairement celui-ci des pratiques tantriques liées aux divinités courroucées, etc.
3 - Mais dans une dernière phase (yangti), la tendance techniciste est revenue en force, affirmant que la pratique visionnaire (thogal) est la meilleure, et que le dzogchen "ancien" n'est que du verbiage pour intellectuels (pour un échantillon, voir Les phères du coeur de Samantabhadra, aux Deux Océans).
Voilà pourquoi aujourd'hui vous ne trouverrez aucun lama pour enseigner le dzogchen ancien. Soit ils ne le connaissent pas, soit ils le considèrent comme dépassé.
De plus, le dzogchen contemporain se résume soit à des "enseignements sur la nature de l'esprit" (trekchöd) qui ne sont pas le "vrai" dzogchen selon les lamas qui l'enseignent eux-mêmes ; soit à un enseignement sur les techniques visionnaires, généralement réservé aux disciples proches ou dans le contexte d'une retraite stricte.
Donc, quand un lama "dzogchen" parle de "la nature de l'esprit", sachez qu'il ne parle pas de la vraie nature de l'esprit, qui selon lui ne peut se révéler que dans le cadre d'une pratique visionnaire. Pour eux, trekchöd et mahâmudrâ sont des sortes de pratiques préliminaires.
Mais ce genre de tension entre les tenants d'une pratique "sans forme" d'une part, et les partisans de diverses techniques visionnaires, de l'autre, n'est pas nouveau. Le Soûtra de l'Entrée à Lankâ mettait déjà en garde les disciples du Bienheureux (trad. P. Carré, p. 124):
Les pratiquants en extase contemplent
Les formes du soleil et de la lune,
Des lotus rouges au fond des précipices,
L'espace vide, des flammes et des images.
Or, toutes ces visions sont justes bonnes
A vous précipiter dans les royaumes non bouddhistes
Ou, encore, dans le champs d'expérience
Des auditeurs et des bouddhas-par-soi.
Renoncez à toutes ces visions
Pour vous établir dans l'absence d'objet
De méditation, et vous accéderez
A l'Apparence réelle, l'ainsité.
P.S. : Malgré tout cela, je continue de croire que le dzogchen "d'aujourd'hui" (c'est-à-dire le Nyingthig) est un immense trésor de sagesse. En effet, il me semble que les pratiques visionnaires elles-mêmes, bien comprises, dépassent l'opposition entre "forme" et "sans forme", tant il est vrai que le bouddhisme a toujours enseigné que la forme et le vide, la réalité et l'apparence, sont deux facettes du Réel, distinctes mais inséparables.
16:16 Écrit par David Dubois dans Dzogchen | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : dzogchen, nyinthig, tantra | Facebook |
12/04/2007
Y a t-il une "voie du milieu" dans le shivaisme cachemirien ?
L'absence de tout précepte moral dans les oeuvres attribuées à Abhinavagupta aura sans doute frappé plus d'un lecteur. Plus encore, il n'y va pas d'une simple absence, mais bien d'une critique des morales brahmaniques et tantriques.

Dans le quatrième chapitre de la Lumière des tantras, en particulier, il offre un développement dialectique sur ce point, d'une vaste portée pratique. Sa conclusion est que les règles ne sont ni une aide, ni un obstacle. De fait, on peut s'en passer, comme le conseillent certaines traditions tantriques non-dualistes, mais on peut aussi bien s'y conformer sans perte aucune. Tel fut, d'ailleurs, le choix d'Abhinavagupta, qui siégeait parmi ses disciples revêtu des attributs du dévot de Shiva (graines de rudrâksha, cendre, rosaire, etc.). De même, dans son commentaire au Chant du Bienheureux Seigneur (Bhagavad Gîtâ, dont une nouvelle traduction vient de paraître chez GF), il affirme que la morale brahmanique est fausse en théorie, mais que l'on doit s'y conformer en pratique : " Les adeptes parfaitement accomplis ne se disent pas 'En servant un brahmane, j'accumulerais du mérite'. Ils ne croient pas aux vertus purificatrices de la vache, ni que posséder un éléphant les enrichirra, etc. A leurs yeux, le chien n'est pas impur. Pour eux, même l'intouchable n'est pas impur ni pécheur. Ils regardent toutes les créatures d'un regard égal. Cependant, ils n'agissent pas ainsi dans la vie quotidienne (na tu vyavaharanti)." (ad V, 19). Le maître invoque ici la célèbre théorie - bouddhiste à l'origine - des "deux vérités", l'une absolue et l'autre superficielle mais pratique dans tous les sens du terme. Distinction elle-même fort pratique il est vrai, et qui n'est pas sans rappeler celle d'un Ibn Rushd (Averroès) en contexte musulman. Il va sans dire que cette distinction peut justifier tous les mensonges et toutes les manipulations. Cependant, s'il y a sans doute un "côté obscure" de la théorie des deux vérités, et si cette voie fut suivie, dit-on, par des adeptes de la non-dualité védântique, telle n'est pas, à notre avis, l'option choisie par Abhinavagupta. En effet, bien que celui-ci n'appelle certe point au soulèvement des opprimés du système des castes, il n'en reste pas moins qu'il ne craint pas de proclamer haut et fort sa propre doctrine, y compris dans ses parties les moins conformistes. C'est ainsi qu'il décrit en détail les rituels transgressifs sans céder à la tentation de les édulcorer, s'efforçant de les justifier contre les tenants de l'orthodoxie védique. Dans son commentaire à la Gîtâ, il se moque de ceux pour qui les femmes, les enfants et les intouchables n'auraient pas droit à la connaissance salvatrice. De même, dans la vaste glose au Tantra de la Guirlande de Victoire : "... le Kâlapâda Tantra affirme que "l'on doit initier les intouchables" (MVV, 197ab). Or ce tantra fait parti du corpus du shivaisme dualiste ! On surprend donc Abhinavagupta en pleine tentative de corruption, si j'ose dire, de ses coreligionnaires shivaïtes qui se veulent orthodoxes.
Quoi qu'il en soit, Abhinavagupta se montre globalement libéral et souvent extrêmement original. Ainsi, à la "voie du millieu" bouddhiste, il propose cette alternative surprenante, fondée sur une lecture singulière d'un passage de la Gîtâ ! : "Il est dit ici que ceux qui aspirent à la délivrance doivent honorer les objets des sens :
[suit la stance de la Gîtâ III, 11:]
"Grâce à cette (forme d'activité sans visée utilitaire), les dieux seront nourris et te nourriront. En se nourrissant mutuellement, tous atteindront le Souverain Bien."
Abhinavagupta formule une exégèse toute tantrique, fondée sur l'Hymne de louange au ballet des dieux présents dans le corps (cf. Les Hymnes d'Abhinavagupta traduits par L. Silburn). "Les dieux" sont les objets des sens, tandis que leurs déesses respectives sont nos organes, à savoir les cinq sens, mais aussi le mental, la faculté de juger et l'ego. Lorsque, à travers une étreinte rituelle, ces couples sont assouvis, ils délivrent l'adepte. Autrement dit, ils ne sont plus source de peur et de jalousie, mais participent au contraire à la vaste dilatation qui caractérise la conscience affranchie au grand large de son immensité. Ainsi, banqueter c'est, comme nous l'assure le Tantra de l'Intuition (Vijnânabhairava), ouvrir la porte de l'Infini. Cependant, il n'y va pas d'un hédonisme simpliste, travers affligeant auquel on réduit trop souvent le tantrisme. En effet, cette jouissance n'est libératrice que si elle est précédée de l'absorption en la pure conscience de soi. Sans elle, cette dilation est vaine, au sens augustinien, et donc finalement asservissante. L'idéal est d'alterner les deux, comme l'on frotte deux morceaux de bois pour allumer un feu (ad II, 11) : "On atteint l'Absolu quand la différence entre (méditation et vie quotidienne) a disparue. Le Bien Souverain est obtenu sans délais lorsque l'on pratique sans interruption le mélange des périodes de méditation et celles de la vie quotidienne qui s'engendrent mutuellement, mélange signalé par (la conviction que) l'Essence est identique à la satisfaction des sens."
C'est que ces deux aspects se corrigent en quelque sorte mutuellement. L'intériorisation prépare le terrain - ce vide dans lequel la joie va pouvoir venir m'habiter -, et l'extériorisation est la joie elle-même, en forme de partage avec le monde et les autres. Tel est le sens du "banquet" (melâpa, ganacakra) tantrique, si souvent carricaturé par ses propres adeptes. De cette manière l'homme et la femme deviennent créateurs et auteurs de leur existence, d'authentiques gastronomes de la vie, explorant sans crainte la "voie du centre" qui n'exclu rien mais embrasse tout dans une expansion sans fin.
12:20 Écrit par David Dubois dans Tantrisme | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : hedonisme, tantra, morale, brahmanisme, conformisme | Facebook |
02/02/2007
Tout apparaît naturellement
Les univers composés du corps et autres objets apparaissent au Soi qui est être et conscience, dont la forme est félicité infinie. De même, ils n'existent qu'en moi. 162

D'abord le corps apparaît, puis les objets apparaissent à l'intérieur et à l'extérieur du sujet connaissant, percevant, auteur de ces états. 163
Les activités et les pensées du sujet connaissant - Apparence évidente par soi - apparaissent directement et naturellement dans le Soi, à partir du Soi, grâce à la Puissance du Soi. 164
Je suis le Soi, conscience et félicité éternelle. J'apparais partout et toujours. A partir de mon Apparence, les objets apparaissent en moi. Il ne sont que ma progéniture. 165
Sans moi, il n'y a ni pureté ni impureté, ni lumière ni ténèbre, puisque ce soleil qui brille, brille pour moi. 166
"La terre et les autres (éléments) existaient bien avant vous. Comment pouvez-vous affirmer qu'ils ne peuvent exister sans vous ?"
- Mais je ne suis pas ce corps ! Je suis conscient, toujours présent. J'existe avant toutes choses. Je suis l'existence de tout ce qui existe et celui qui fait tout apparaître. 167
"L'inerte naît du conscient tout comme le conscient naît de l'inerte."
- (Mais cela) est perçu (par vous), monsieur. Comment pouvez-vous affirmer que le conscient vient de l'inerte si vous n'existez pas avant l'inerte ? 168
La liberté de la conscience, Pandit Râmeshvar Jhâ.
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24/01/2007
Le Soi ne peut être capturé à coup d'efforts
Ô intellect ! L'époux parti est revenu : ne le délaisse pas ! L'oubli est oublié, notre vraie nature est trouvée ! 150

Je suis présent une fois pour toutes. Je ne "deviendrais" jamais. Je n'ai jamais "été". Voilà pourquoi je suis "toujours" ! Je suis le Seigneur, identique au monde, toujours parfaitement apparent. Je suis Shiva, naturellement pur, sans rien à accomplir. 152
Je suis Shiva, fait de l'Apparence qui est le Soi, vide de toute inconscience, qui fait apparaître l'action, le temps et la durée, dépourvu de la dualité contenant-contenu. 153
Tout apparaît en moi qui suis, à cet instant même, apparent. Mon essence - le Soi, essence des objets, évident, ne peut jamais devenir un objet. 154
[Je n'arrive pas à traduire le 155]
Je suis en cet instant complètement affranchis du désir d'atteindre cette merveille bariolée au teintes variées, cette Lumière dépourvue des apparences du "début" et de la "fin". L'être avisé qui voit cela, est délivré en ce corps même ! 156
Ce Soi ne peut être appréhendé même par des centaines de raisonnements. Il est conscience toujours prouvée/accomplie/présente. On ne peut le capturer dans les filets des méthodes. Or, je suis Apparence, et non pas quelque chose qui apparait ! 157
Le seul maître (gourou) capable d'évéiller au Soi est Shiva lui-même. C'est lui qui apparait avec un corps sous la forme du maître et du disciple. 158
Je prend conscience de l'Apparence. Tout n'existe qu'en moi, à partir de moi. Ce "je" est le "je" absolu, dit-on. 159
Le bleu, le plaisir, etc. apparaissent scindés en temps et lieux distincts. C'est l'objectivité qui est (ainsi) déterminée, jamais le sujet. 160
Il apparait comme pur Apparaître, présent avant tout autre chose. Il est pur et simple acte d'apparaître. Il est donc l'Être primordial. 161
La liberté de la conscience (Samvitsvâtantrya), Pandit Râmeshvar Jhâ.
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22/01/2007
Dans le temps et hors du temps
Je suis absolument comblé. Rien ne me fait défaut. Parfaitement pur aussi ; sans aucune impureté. Toujours je reste spontanément apparent, même lorsque tout apparaît. Bien que spontanément apparent, j'apparaît aussi en conformité avec le temps. 148

Je me manifeste naturellement, éternellement j'apparais, ayant pour forme toutes les formes. Tout est ma manifestation, de sorte que je suis toujours évident. 149
La liberté de la conscience, Pandit Râmeshvar Jhâ.
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12/01/2007
Ici ou là, je ne vois que toi
La lumière du Soi danse ainsi et me procure jouissance et délivrance. Elle engendre à la fois la connaissance juste et l'illusion. De cette manière - ô merveille ! - elle me divertit éternellement/chaque jours. 133

Ce que je ne puis atteindre peut parfaitement l'être : c'est le sens du mot "je". Bien que je ne puisse être atteint, je suis pour tous et toujours le seul but visé. 134
Je suis le lieu de l'apparition et de la disparition de toutes choses. Je suis dieu en personne, parfaitement évident, et qui ne peut être démontré puisqu'il est éternel et indéfinissable. 135
Je ne suis pas le corps, car ce corps apparait en moi. Il est mon serviteur, et de ce fait il déborde de joie et de conscience. 136
A chaque fois qu'une apparence objective - le souffle, l'inellect, le vide ou le corps - apparait et disparait, à chaque fois l'état de sujet conscient authentique est pleinement présent. 137
Dans l'exacte mesure où apparait l'attribut de souveraine liberté propre à la conscience, par cela même l'adepte obtient les accomplissements (siddhi) tels que le pouvoir de voler dans l'espace (khecarî) et les autres. 138
Ô déesse, pas un seul individu ne peut atteindre son propre Soi sans devenir identique à toi. Si à l'inverse, tu t'efforces de t'individualiser, je pense que c'est là ton désir pour Shiva ! 139
Bien que je transcende les sens et l'entendement, je suis présent sous la forme de toutes choses. Bien que je sois sans divisions, je brille à travers tout ce qui est, inaffecté par ces divisions. 140
Je suis celui qui apparait avant, aprés et aussi pendant chaque désir et chaque pensée. Il n'y a aucun doute à cela ! 141
Je suis le fondement de tout puisque c'est moi qui fait tout apparaître. Je suis conscience, je suis Apparence. Je suis le germe primordial de toutes choses. 142
Je suis la matière première de ce tableau multicolore, de l'apparent dans sa totalité. Je suis le père, le voyant du fils, du créé dans sa totalité. 143
Contemplant toute cette diversité, façonné par lui-même pour lui-même, Shiva ayant assumé l'état d'être asservi ne se connait plus lui-même ! 144
Ici, là, partout, toujours, maintenant, alors... j'apparais de toutes les manières et je goûte à la fois à la jouissance (bhukti) et à la délivrance (mukti). 145
Ô seigneur ! tout apparait dans ta présence. Tu n'apparais pas ici-bas à celui qui n'a pas d'amour pour toi. Tous les mondes apparaissent dans ton regard, mais dans mon regard, toi seul apparais, unique ! 146
Ici et là, partout, toujours et maintenant, lorsque, quand... pleinement apparent à l'extérieur comme à l'intérieur, il n'y a que toi dans mon regard. 147
La liberté de la conscience, Pandit Rameshvar Jhâ.
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06/01/2007
Doit-on devenir ce que l'on est ?
Contenir, être contenu, grandeur et petitesse, éloignement et proximité n'apparaissent que dans la présence que je suis. 119

Ce qui est à faire et ce qui est fait, ce qui est à venir et ce qui est passé, le présent et l'activité, la connaissance et l'ignorance apparaissent toutes en moi. 120
Quand je deviens sujet connaissant, la vision est alors imparfaite et je parais diminué. Et je suis aussi la vision parfaite, je suis éternel, je suis celui qui fais apparaître l'apparition et la disparition (des choses). 121
De fait, cette condition est expérimentée de bien des manières ! Cette gloire se fait visible même dans le corps. "Le souffle suspendu, l'activité apaisée", (dit-on). Mais notre Soi est partout et toujours identique ! 122
Notre Soi est apparant en tant que Soi de tout. Il apparait directement en cet instant même, (car) sa forme est unique. Il ne gagne ni ne perd rien en étant apparent sous telle ou telle (forme). Ce dieu qui embrasse (toutes les formes) est immuable en lui-même. 123
Je suis l'essence qui est notre Soi, dont la forme unique ne dévie jamais. Je me manifeste, me divertissant à travers la connaissance et l'action. Rien n'est séparé de moi, ni ce qui a été, ni ce qui sera. 124
Rien ne peut apparaître séparé de ce qui est trés pur et (donc) capable d'accueillir (des formes, à la façon d'un miroir limpide). Directement apparent, limpide, absolument libre, je suis celui qui fait apparaître le monde. Celui qui se méprend sur le Soi devient identique à moi/ avec mon Soi quand s'élève la conscience qui est ressaisissement de soi. Le Seigneur tout-puissant présent en ce corps se révèle (ainsi) à moi totalement ou partiellement (seulement). 125
Les vagues des pensées et des sensations (vimarsha) brillent éternellement dans l'océan de la conscience. Elles sont remémorations de ma propre souveraineté présente sous toutes ces formes. 126
La prolifération des objets des sens en forme de mots et de choses apparaît à l'intérieur et à l'extérieur. Elle surgit tout entière de notre Soi et se dissoud en notre Soi. Voyant cela, je suis heureux ! 127
Toujours, avant tout ce qui apparaît en ce moment, "je suis". Je suis celui qui fait apparaître (les choses), je suis celui qui les fait voir. Avant cela, je suis celui qui expérimente leur absence. 128
Il est toujours serein, limpide, accompli et inconditionné. Comment pourrais-je le produire à nouveau par une activité ? 129
La souillure, le conditionnement : comment et pour qui adviendraient-elles ? Car je suis impartial, toujours indivis, limpide, identique à tout. 130
Comment ces phénomènes pourraient-ils cacher mon état naturel ? Car tous, depuis Shiva (jusqu'à l'élément "Terre") surgissent de moi seul. 131
"Je suis". Que pourrais-je le devenir ? Etant (déjà existant), je ne le deviens pas. Celui qui, déjà existant, devient "existant", pour lui absolument tout s'effondre en ce monde ! 132
La liberté de la conscience, Pandit Râmeshvar Jhâ.
17:52 Écrit par David Dubois dans Reconnaissance | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pratyabhijna, reconnaissance, tantra, meditation, eveil | Facebook |
02/01/2007
Les guinols du tantra
L'année est à peine commencée, que le guinol 2007 est déjà là. Cette caricature enseigne le Vijnâna Bhairava Tantra. Et il y a des gens pour écouter. Comme disait mon ex-belle grand mère : He Râm ! Bara afsos hei ! Ye sâb kaliyug ke dosh hain ! Mon Lama (de rêve) n'est pas content :

22:46 Écrit par David Dubois dans Anecdotique | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : tantra, gourou, cretin | Facebook |
01/01/2007
Subham astu !
Je célèbre le dieu suprême, sans égal, souverainement libre, fait de conscience, non-duel, comblé, félicité spontanée, notre Soi, le plus haut Seigneur !
La reconnaissance de la plénitude, Pandit Râmeshvar Jhâ.
Meilleurs voeux à tous !
15:07 Écrit par David Dubois dans Anecdotique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pratyabhijna, tantra, voeux | Facebook |
30/12/2006
Se connaître comme source de toute naissance et de toute mort
Pour moi, il ne reste absolument rien à accomplir ni à réaliser. Que resterait-il à accomplir pour qui est éternellement comblé ? Que resterait-il à réaliser pour qui est éternellement contenté ? 104

Cet Ineffable qui apparait indifférencié, qui brille dans l'éternel et le parfaitement homogène, c'est lui le "poison"/l'omniprésent, l'immortel, c'est lui cette Apparence qu'est notre Soi. 105
Je suis naturellement affranchis du temps et de l'action, car c'est moi qui fais apparaître les apparences du temps et de l'action dans leur succession. 106
Le Soi brille de soi-même. Notre forme propre n'a pas besoin d'être indiquée ni comprise. Elle est éternelle, accomplie, obtenue. Par conséquent, délaisse le désir de l'obtenir et sois heureux ! 107
Prenons refuge dans la base universelle, dans cette liberté absolue (svâtantrya) qui est la Puissance unique dont sont faites toutes les puissances, Elle qui est spontanément présente, accomplie, affranchie de l'être comme du non-être ! 108
Ma seule forme constamment présente est Apparence car je vois que tout ce qui apparaît, apparaît en moi. 109
Je suis déjà spontanément accompli ! Que pourrais-je le devenir ? J'ai délaissé l'identification au corps qui cause une vaine naissance. 110
Merveille ! Cette aventure de l'adepte fortuné que je suis est le plus grand miracle ! Même si je demeure en ce corps limité, je soutiens l'univers entier ! 111
Mon essence est vibration toujours parfaitement pure. Je suis contamment vibrant, éternel. Je suis conscience comblée. 112
Ma vibration est manifestation et repos en moi-même. Sans contact avec le corps, je contemple cette (vibration) spontanément présente. 113
Je vibre, spontanément accomplis. (Aussi), je ne désire pas (le) devenir. Quant à l'identification au corps qui fait naître la peur de naître et de mourrir, je l'ai abandonnée. 114
Ma vibration est l'Apparence de mon essence. Ma vibration est la totalité des actions. Le corps naît de la vibration et il ne vit que par la vibration. 115
Je suis toujours la majesté de l'Apparence qu'est le Soi. Par ma plénitude, je tisse le Tout. Il n'y a rien à abandonner, ni maintenant ni plus tard ! Le Tout, fait de mon Soi, bourgeonne/baille/se déploie. 116
De fait, pour qui il y a naissance faiseuse de Temps, il y a mort, elle aussi faiseuse de Temps. Mais celui qui se connaît lui-même comme Naissance de la naissance, des mondes, du Temps, etc. ne connaît point la naissance ni la mort. 117
Notre Soi est sans parties, évident par soi, éternel et sans événements. Mais (tout) ce qui est fait et accompli l'est dans le Soi, par le Soi, spontanément. 118
La liberté de la conscience, Pandit Rameshvar Jhâ.
15:10 Écrit par David Dubois dans Reconnaissance | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pratyabhijna, tantra, connaissance de soi | Facebook |
27/12/2006
Contenant et contenus
Sans se préoccuper du corps, il faut atteindre l'harmonie. On ne peut l'obtenir dans le corps, lequel est l'unique source de disharmonie. Le repos dans notre Soi est orné d'harmonie et de paix. C'est la Science. (Au contraire) l'identification au corps n'est qu'Ignorance. 95

Ce qui n'apparaît pas n'a aucune réalité. Puisqu'elle fait tout apparaître, cette Lumière-Apparence, c'est moi en vérité ! 96
"Il est indéfinissable, sans voiles, infini, totalement immuable et donc toujours accompli, libre des moments et des lieux, sans contact avec l'inconscience, l'intellect, l'imagination, les sensations et le corps" : c'est notre Soi qui est indiqué par ces mots. Par conséquent, le bon yogi doit percevoir directement son Soi par son Soi au moyen de la prise de conscience verbale "je". Alors plus rien ne demeure de ce qui est manifesté comme de ce qui est latent. Simplement, l'univers brille spontanément comme son Soi, à partir de sa propre essence. 97-100
Ô Soi intérieur ! Vois ta propre essence ! Cet état absolument permanent ne peut être lié ni libéré. Il est tout ce qui est. 101
Le désir de définir l'indéfinissable et le désir de réaliser ce qui est (déjà) accompli ainsi que celui de prouver ce qui est évident : les ayant abandonnés, je suis toujours heureux ! 102
Je suis parfaitement présent en tout, car je suis aussi les choses en lesquelles je suis présent. Je suis celui qui toujours connait, perçoit et fait apparaître le contenant et les contenus. 103
La liberté de la conscience, Mahâmahopâdhyâya Rameshva Jhâ.
15:26 Écrit par David Dubois dans Reconnaissance | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : tantra, pratyabhijna, connaissance de soi | Facebook |
23/12/2006
Présent au Présent
Reposant dans le Soi, fait de tout de toutes les manières, je suis l'essence de l'épanouissement et de la contraction. Je n'appartient à personne. Personne ne m'appartient non plus. Bien que je me manifeste comme Un, je suis la forme du Multiple. 86
Je suis le Voyant constant de l'apparition comme de la disparition (des choses). Je suis le Puissant, je ne suis affecté ni par l'apparition, ni par la durée, ni par la destruction (des choses). 87
C'est moi, doué de toutes les Puissances, qui perçoit et fait être. Tout est créé et manifesté en tant que moi, par moi et en moi. 88
Je possède le "je" authentique grâce à la prise de conscience "je". Je suis toujours tout sans exception, dépourvu de la distinction entre le contenant et le contenu. 89
J'existe ainsi et autrement aussi. Je suis Un, non-duel. Bien que je forge la division en "ainsi" et "autrement", je me tiens en leur centre. 90
Oubliant mon propre Soi présent, doué de toutes les Puissances, je viens habiter spontanément le corps, le vide, etc., en personne. 91

Celui qui se tient au présent dans le Présent, que ne jouit-il pas de toutes les Puissances ! (Mais) celui qui s'occupe du passé et du futur, oublieux de lui-même, que ne devient-il pas ! 92
Je m'épanouis complètement, totalement libre de contraction grâce à la Puissance d'activité née de la Conscience, ou encore à travers (la Puissance de connaissance) egendrée par l'activité. 93
Né du Soi, le monde n'existe que dans le Soi. Pour l'adepte toujours uni, il apparaît identique à sa propre essence. 94
La liberté de la conscience, Mahâmahopâdhyâya Rameshvar Jha.
18:25 Écrit par David Dubois dans Reconnaissance | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : tantra, pratyabhijna, connaissance de soi | Facebook |
Signature des "Stances pour la Reconnaissance"
Une séance de signature de la traduction des Stances sur la reconnaissance du Seigneur, texte fondamental de la philosophie tantrique du Shivaïsme du Cachemire (voir lien dans la colonne de droite), se tiendra à la libraire orientaliste
Fenêtre sur l’Asie
49, rue Gay Lussac 75005 Paris
tel. 01 43 29 11 00
le mardi 9 janvier à partir de 18 heures.
Vous pourrez également y rencontrer Monsieur le professeur François Chenet pour le livre Catégories de langue, catégories de pensée en Inde, ainsi que Marc Ballanfat pour un numéro spécial de la revue Rue Descartes consacrée aux philosophies de l'Inde.
Venez nombreux !
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21/12/2006
L'essence est toujours et partout présente
Pour celui qui contemplerait cette grande fête du don de la connaissance, source d'une extraordinaire félicité, pour celui-là d'où pourrait venir la souffrance ? 70
Pour moi, rien n'est jamais séparé de l'essence. Tout ce qui m'apparait vient de l'essence. 71
L'essence sans aspect ni forme - qui ne peut être ni représentée ni construite, évidente par soi, insondable - m'est toujours présente. 72
L'essence ne peut être saisie, ni gardée à l'esprit, ni démontrée. Ce qui apparait objectivement, ce qui peut être visé, n'est pas l'essence. 73
L'essence, toujours apparente par elle-même, elle qui fait tout apparaître, peut toujours être saisie en son essence, même dans les objets apparents. 74

Toutes les choses, séparées et distinctes, apparentes en ce moment même, produites par des causes, sont éphémères. Notre Soi, au contraire, est permanent, parfaitement évident. Cause de toute preuve/ de l'accomplissement spirituel, il ne dépend de rien. 75
A tout instant, le monde entier se tient à l'intérieur, en moi. Sachant cela, je ne demande rien à personne. 76
(L'état de veille) La forme de ce monde visible, bien qu'éphémère et d'apparence duelle, n'existe que par mon essence, et déborde du nectar de la non-séparation d'avec le Soi. 77
(Le sommeil profond) Quand à l'état de sommeil profond, je le vois comme ce domaine qui engloutit tous les (autres) états; je le connais comme mon Soi, vide de tout, non divisé par la pensée. 78
(L'état de rêve) Dans le rêve, je vois des choses passées, présentes, futures ou même impossibles. C'est dans le Soi que je les vois surgir. 79
(Le "quatrième" état) Je suis l'omniprésent en tant que Quatrième (état). Je suis Shiva en tant qu'essence propre. Je suis l'Insurpassable en forme d'Apparence ininterrompue par les temps et les lieux. 80
Je ne désire point atteindre ce qui ne peut l'être, ni prouver ce qui n'est pas démontrable. Je désire encore et encore voir éternellement l'eternel. 81
Voyant éternellement l'éternel, je suis heureux. Mais lié au corps, je semble vaquer à des occupations (diverses). 82
Il n'y a ni éternel ni non-éternel. Il n'y a pas non plus d'Un ni de Multiple. Je suis le sujet connaissant, la source du divers, comblé, doué d'une souveraineté sans bornes. 83
Que l'action, née du souffle vital et du mental, m'emporte vers le haut ou vers le bas ! Je suis leur témoin (litt. "Agent de l'expérience") constant, homogène, insondable. 84
Cette Expérience (litt. "Le fait d'être l'Agent de l'expérience") est toujours et partout présente. Cette essence brille pour moi, éternelle, authentique, permanente, suprême. 85
La liberté de la conscience, Mahâmahopâdhyâya Rameshvar Jha.
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16/12/2006
Je suis la Preuve des preuves
Je ne suis aucune chose et je ne suis personne. Aucune action n'est mienne. Je ne souffre rien, n'imagine rien. Je ne suis le fondement de rien. 60
Je suis l'essence du soi et du non-soi, du vivant et de l'inerte, je suis ce qui apparait et ce qui le fait apparaître. Je suis affranchi de la naissance comme de la mort. 61

J'apparais comme esence de l'ami. Je brille aussi comme essence de l'ennemi. Je suis celui qui loue et celui qui calomnie. Je suis à la fois l'essence du Soi de chacun et le Suprême. 63
Je ne suis pas visible, ni méditable, ni mémorable non plus. Aucune preuve ne peut me prouver, car je suis l'existence avérée (de toutes les preuves). 64
Je suis la Preuve de toutes les preuves, car je suis toujours apparent. Je suis le Seigneur du tout, le Soi ultime, car je suis l'essence du tout. 65
Je suis la connaissance suprême. Je suis l'existence suprême. Je suis le Souverain Bien. Je suis la plus haute fortune. Je suis la Puissance suprême. Je suis aussi la science suprême. Je suis tout cela, et je suis l'auteur de tout. 66
Celui qui fait de moi l'objet de sa prière - la prise de conscience "je" - je devient sa nature. Il devient un adepte accompli, plein de connaissance, il obtient la plénitude. 67
L'être accompli, c'est celui qui est accompli en omniscience et en omnipotence, dit-on. Les sages déclarent que celui qui est libéré par l'omniscience et l'omnipotence est (vraiment) libéré. 68
La liberté de la conscience, Mahâmahopadhyâya Rameshvar Jha
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13/12/2006
Qui suis-je ?
Quand c'est le Soi seul qui apparait lui-même sous toutes les formes, que reste t-il à atteindre ? que faudrait-il ensuite rejetter ? 51
La Terre, l'Eau, le Feu, l'Air et l'Espace : voilà l'objectivité qui apparaît de cinq façons. Je suis le sixième élement, Shiva. 52
Je me contente de ce que je possède naturellement. Je n'espère ni la disparition de l'irréel, ni la réalisation du réel. Ma forme naturelle, originelle, n'est ni réelle ni irréelle. C'est en elle que viennent mourrir les vagues des constructions imaginaires. 53
Le propre Soi du délivré est Shiva, non forgé par l'imagination, limpide, débordant de toutes choses. Même une fois libéré, il est sans aucun doute Shiva lui-même. 54
Mes Puissances (shakti) brillent de manière variée, encore et encore ! Océan de nectar, je ne suis pas affecté par les vagues qui émanent du Soi ! 55

C'est cette Vibration et elle seule qui se manifeste comme essence de toutes choses pour celui dont l'essence est une nuée de félicité et de conscience toujours frémissante ! 56
Celui qui connait sa forme naturelle, source des choses et de leur disparition, celui-là se réjouit de tout lorsqu'il perçoit l'univers absorbé en lui-même. 57
Quand la forme lumineuse inextinguible et toujours pleine, le Soi, le "je", apparait en moi sous la forme du "cela", alors (seulement) le Tout apparait visible. 58
Je suis présent avant toutes choses, car je fais apparaître tout ce qui apparaît distinctement à l'extérieur ou dans l'esprit. 59
La liberté de la conscience, Pandit Rameshvar Jha.
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29/10/2006
Le rituel de la déesse Suprême - 2
Cette liturgie de la Suprême (parâvidhi) décrit la journée de l'adepte, depuis le lever jusqu'au coucher. Le rituel principal doit être accomplit quatre fois : à l'aube, à midi, au crépuscule et à minuit. En pratique cependant, le rituel de minuit est écarté. Si il ne peut faire qu'un rituel, l'adepte le fait en fin de matinée.
La structure de la liturgie est cyclique. Un jour, une nuit, un inspir, un expir... Ces deux phases se correspondent et correspondent à tous les autres aspects de l'existence cosmique ou individuelle. L'inspir est accroissement dans tous les domaines : intelligence, richesse, fertilité, durée de vie... L'expir est retour à l'état de repos et mort. Il est le moment de tous les rituels "nocturnes" de destruction.
Toutefois, la liturgie de la Suprême (parâkrama) met l'accent sur les intervalles, les solstices et les équinoxes, auquelles correspondent les quatres moments de la journée et les quatres moments de chaque cycle respiratoire. En prenant conscience encore et encore de ces intervalles, la conscience de l'adepte se détent peu à peu et s'affranchi de la dualité. L'espace de pure conscience, d'abord vécu en ces moments d'équilibre, imprègne peu à peu le jour et la nuit et l'ensemble de la dualité, "comme de l'huile se répand dans un tissu". La dualité est ressentie comme une respiration harmonieuse, une oeuvre dont l'adepte n'est plus la victime, mais l'auteur et l'agent. Il est tous ces couples de contraire, et il est aussi au-delà. Espace et nuages, miroir et reflets, océan et vagues : un seul tout, un seul mouvement.
En se levant, l'adepte commence par s'asseoir sur son lit. Il fait un geste (mudrâ), au-dessus de sa tête, qui exprime la présence du couple divin, le Dieu unit à la Déesse. De cette union s'écoule un nectar et une pluie de pétales dorées qui emplissent et baignent le corps de l'adepte. Ainsi, tout ce qu'il perçoit est Dieu, pure Apparence lumineuse, étroitement unie à sa conscience épanouie - la Déesse. S'accompagnant ou non d'un hymne de louange, il imagine ce couple divin descendu dans son coeur, entouré de huits autres couples qui sont comme leurs reflets : les cinq sens, auquels s'ajoutent l'ego, le mental et l'intellect. Ainsi, tout ce qu'il sent, imagine ou pense est une offrande et une célebration.
Une fois transformé, il baigne son corps. Il s'asperge d'eau avec le mantra qui est la Déesse Suprême (parâvidyâ) sous sa forme subtile et immédiate : SAUH, prononcé ssâouhou. C'est la Suprême, l'essence de tous les mantras, de toutes les pensées, images et sensations. Puis, il infuse différentes parties de son corps de cette Déesse.
Après ce bain, il se rend à l'entrée de son temple privé. Il frappe le sol trois fois, en claquant des doigts, pour chasser de ce lieu tout obstacle : il y entre comme pour la première fois.
Puis il vénère son siège, toujours avec la Déesse SAUH. Le texte précise que l'adepte doit garder les yeux grands ouverts durant tout le rituel. Ensuite il se parfume, revêt une guirlande, allume de l'encens, puis vénère sa clochette et la lampe sacrée (kuladîpa), toujours à l'aide de la Déesse, la prise de conscience "je" qui en un instant dénoue la conscience ordinaire.
A l'aide du mantra du maître et de la maîtresse, il vénère au-dessus de sa tête le couple de ses maîtres humains, identiques au Dieu et à la Déesse. Ici, cela donne : Aim sauh shrîm krîm hrîm klîm shrî ânandanâtha shrî pâdukâm pûjayâmi namah. Telle est la "mémoration constante des sandales du maître" (gurupâdukâsmriti), thème récurrent de cette tradition kaula. Kaula est le nom de ces traditions qui adorent la Déesse dans le corps, ou qui du moins mettent l'accent sur le corps comme contenant de tout l'univers.
Puis l'adepte infuse les différentes parties du mantra - de la Déesse - dans son corps. Il devient la Déesse, car seule une divinité peut adorer une divinité. Mais ici, le mantra - SAUH - n'a pas de parties ! Il est donc répété et imposé sur cinq parties du corps à l'aide de ce seul mantra, avec les gestes appropriés. On commence par le sommet de la tête, puis la bouche, la poitrine, le sexe et enfin le corps entier.
Puis, avec de la bouse ou de l'eau parfumé, il trace sur le sol (ou un plateau) un carré, à sa gauche. Ensuite, il sent ses narines. Selon la narine prédominante (celle dans laquelle le souffle passe plus facilement) en cet instant, il déploie une variante du "geste du poisson" au dessus d'une coupe d'eau. Puis il trempe son annulaire dans l'eau et trace le reste du mandala à l'intérieur du carré : cercle et double triangle. Puis, dans une coupe placée sur ce mandala, il infuse la Déesse. Avec cette eau, il trace un second mandala à sa droite, identique. Il y dépose une coupe remplie d'alcool et y infuse la Déesse de l'ivresse, la prise de conscience qui dépasse le mental en le dévorant : "je". Il y a pour cela un mantra un peu plus élaboré qui signifie "SAUH, hommage à cette Déesse, conscience ayant pour cause et conséquence le plaisir - elle porte une coupe d'alcool dans une main, et de la viande dans l'autre - je la salue et la vénère, SVÂHÂ." Il dispose alors également de la viande (mais l'alcool est l'ingrédient indispensable).
Assis, la bouche ouverte et détendue ("comme un corbeau"), l'adepte inspire, récite vingt-sept fois SAUH et expire. Il répète ce cycle trois fois.
Puis il visualise, autour d'un point situé sous son nombril, une guirlande de septs fois cinq morceaux de ghee (beurre clarifié), blanc et lumineux. Ils symbolisent les trente-cinq catégories (tattva) qui regroupent tout ce qui existe, le réel et l'irréel, le passé et le futur, le parfait et l'imparfait. Placant son pouce droit sur sa tête, l'adepte éveille alors le "feu" de la conscience situé sous le nombril. Le texte l'appelle la "Lovée" (kundalinî). Cette flamme consumme la "guirlande des catégories" dans la "roue" (cakra) du nombril, au fure et à mesure que l'adepte énonce leur nom en sanskrit.
Puis il visualise une guirlande de trente-cinq fleurs dans son coeur, guirlande qui représente les choses ressenties désormais comme apparaissant dans la conscience et créées par elle, par la Déesse unie au Dieu. Au centre de cette guirlande, il imagine la Déesse, avec un corps transparent et éclatant comme la lune, souriante, tenant le texte de la Science Suprême (parâvidyâ, c'est-à-dire SAUH ou AHAM - "je"), un rosaire de cristal, faisant les gestes du don et de l'absence de peur.
Prenant la coupe remplie d'alcool, il la boit peu à peu, d'abord en offrande au cercle des divinités auparavant visualisées dans le coeur, puis au maître et à l'ensemble de la lignée, d'abord divine, puis parfaite et humaine enfin, avec trois maître et leur compagne à chaque fois, sauf pour les maîtres humains, qui font huits couples. L'alcool doit donc être dilué, ou remplacé par du lait, car il est dit explicitement que l'ivresse provoquée doit être légère. Il n'est pas question de tomber raide comme le suggère d'autres tantras !
Le reste de l'offrande est remis pour une part aux pauvres, puis à soi-même. Ce rituel se fait seul, à deux ou en groupe. Abhinavagupta précise que tous les éléments du culte doivent êtres agréables, voire excitants. Dans le cas d'un rituel en couple, les sécrétions sexuelles doivent également être offertes à la Déesse. Pour cela, les adeptes touchent leur sexe de l'annulaire de la main gauche, puis le trempe dans une coupe d'alcool, et le boivent.
Deux remarques pour finir :
- Ce rituel peut sembler long et complexe, mais il est trés simple pour l'Indien habitué à des procédures redondantes et interminables. N'oublions pas que l'exécution des rituels est la profession du brahmane orthodoxe ! Retenons aussi qu'il existe de nombreuses variantes de ce rituel. Ici, nous n'avons décrit que la forme destinées à ceux qui n'aspirent qu'à la délivrance (moksha). Mais la trame demeure la même dans tous les cas.
- Tout ceci est empli d'images et de symboles qui parlent directement à l'inconscient de l'Indien. Par exemple, boire de l'alcool, consommer (même en quantité infime !) du sperme ou du sang menstruel, constitue le pire des crimes. Plus qu'un acte dégoûtant ou bizarre, c'est là véritablement briser un tabou. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'Abhinavagupta affirme que la meilleure des initiation consiste pour le maître à offrir une coupe d'alcool au candidat. Si celui-ci hésite, si sa main tremble, alors il est encore impur, il n'a pas reçu la grâce. Ce rituel est donc aussi une façon de tester la foi du disciple et de découvrir si les doutes et scrupules mondains ont été éliminés en profondeur.

11:57 Écrit par David Dubois dans Tantrisme | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : tantra, shivaism, deesse, rituel | Facebook |
28/10/2006
Le rituel de la déesse Suprême - 1
J'avais, avant les vacances de l'été 2006, proposé une lecture d'une oeuvre apparentée au Shivaïsme du Cachemire, la Doctrine secrète de la déesse Tripurâ (Tripurârahasya).
Les récits initiatiques qui la composent sont reçus par Parashurâma de son maître, après douze années de culte rendu à la Déesse. Ce culte est exposé dans la Liturgie de Parashurâma en aphorismes (Parashurâmakalpasûtra).
C'est un système de pratique complet et encore transmis de nos jours, en particulier dans le sud de l'Inde. Il propose la pratique successive de cinq divinités corrélées à cinq cakras et cinq périodes de la journée : Ganapati, Candî, Vârtâlî (alias Vârâhî), Tripurâ et Parâ.
1 - Ganapati ou Ganesh est censé purifier les tendances fabricatrices (samskâra) inconscientes accumulées dans le "corps subtil", plus précisément dans le cakre de la base (mûlâdhâra). De fait, il sert de pratique préliminaire, en faisant fondre les plus gros obstacles : Ganesh est le Soi en tant que "Destructeur des obstacles" (Vighneshvara). Dans le cadre d'une retraite, cette pratique atteint son but en 40 jours. Quatre est, en effet, "le chiffre de Ganesh". L'objectif est atteint lorsque l'adepte fait certains rêves considérés comme auspicieux.
2 - Puis, il adore la Déesse sous sa forme de Candî dans le nombril (manipûra), pratique qui est réputée éveiller pour de bon la "Lovée" (kundalinî), qui n'est autre que la prise de conscience "je". Non pas - notez bien - "je suis untel, je suis gros" ou "maigre", "jeune" ou "vieux". Simplement "je". Telle est la clef de la connaissance de soi, qui va ensuite s'épanouir dans les pratiques suivantes. Les tendances fabricatrices, les impressions fausses, les représentations erronées vont alors se dissiper tels des nuages dissipés par la lumière et la chaleur du soleil (qui auparavant a contribué à la formation de ces mêmes nuages...). Ce soleil est la pure et simple prise de conscience de soi : "je-je" (ahamaham iti samsphurad-âtma-tattvam) comme disait Ramana (grand adepte de la Déesse, soit dit en passant).
3 - Puis Vârtâlî, dans la gorge (le coeur est le lieu d'une pratique intermédiaire non mentionnée par Parashurâma, celle de Râdhâ, compagne de Krishna) concerne la purification du sommeil profond et des tendances les plus anciennes. Ceci dit, chaque pratique, depuis le début, purifie l'inconscient (de toutes façons, les constructions mentales sont nécessairement "inconscientes", dans la mesure où elles sont des objets pour la Conscience) et les trois états (veille, rêve et sommeil profond). Seulement, la vibration "je" atteint des couches de plus en plus profondes. Comme l'écrit Lilian Silburn, c'est un processus en spirale.
4 - Dans la tête - ou plutôt son absence -, on vénère Tripurâ, alias Lalitâ. En fait, cette pratique est la forme la plus complète de toutes. Elle inclut l'extérieur et l'intérieur. A l'extérieur, on projette l'univers dans le "palais de la Déesse" (un shrîcakra, mandala en cuivre ou autre matière précieuse) et, à l'intérieur, on projette ce même univers dans le corps, dans le souffle et dans l'imagination, pour finalement réaliser que tout est projetté dans la conscience par la conscience.
Ces quatres liturgies sont de plus en plus complexes. Le culte de Tripurâ est le centre et l'apogée de cette tradition. Cette pratique exprime à l'aide d'images et de sons (les mantras et surtout LE mantra, en 15 ou 16 syllabes, la Shrîvidyâ) l'intuition "je". Tout s'y ramène, selon sa manière propre, aux plans de l'univers, du corps, du souffle et de l'intellect. Il s'agit à la fois d'exprimer un pressentiment inné ("je suis tout et au-delà de tout") et de le renforcer en l'exprimant ainsi.
Cette liturgie est ininterrompue, jour et nuit, dans l'inpir et dans l'expir, et surtout entre les deux.
5 - C'est ce dernier aspect que souligne la cinquième et ultime liturgie des Aphorismes de Parashurâma, celle de la Déesse sous sa forme "suprême" (parâ). On lui rend un culte à minuit ou à midi, dans le "lotus aux milles pétales", c'est-à-dire dans les intervalles entre les cycles de la vie.
Comme cette liturgie inclut, sous une forme trés concise, les étapes principales de toutes les autres, il suffira ici de décrire seulement ce rituel, dont le symbolisme est médité par Abhinavagupta dans l'Explication de la Suprême, souveraine des Trois Puissances (Parâ-tri-îshikâ-vivaranam).
...

11:33 Écrit par David Dubois dans Tantrisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tantra, shivaisme, rituel, cachemire | Facebook |
22/10/2006
Et après ?
"...
On purifie son corps avec des jeûnes, et aprés ? On a des fils légitimes, et après ? On pratique la rétention du souffle, et après ? Certes, ce n'est pas ainsi que le Soi est perçu.
L'ennemi est vaincu dans la bataille, et après ? L'ami est favorisé, et après ? Les pouvoirs du yoga sont conquis, et après ? Certes, ce n'est pas ainsi que le Soi est perçu.
On marche sur le eaux, et après ? On contrôle le souffle par la "respiration du vase", et après ? On soulève le mont Mérou dans la main, et après ? Certes, ce n'est pas ainsi que le Soi est perçu.
On boit du poison comme du lait, et après ? On mange du feu comme du riz, et après ? On vole dans le ciel comme un oiseau, et après ? Certes, ce n'est pas ainsi que le Soi est perçu.
Les cinq éléments sont maîtrisés, et après ? De réelles blessures ne sont que rougeurs, et après ? Des pierres sont lancées par des mains invisibles, et après ? Certes, ce n'est pas ainsi que le Soi est perçu.
On devient un empereur, et après ? On acquiert la suprématie d'Indra sur le autres dieux, et après ? On parvient à la toute-puissance de Shiva, et après ? Certes, ce n'est pas ainsi que le Soi est perçu.
On obtient tout avec des formules magiques, et après ? On est transpercé sans dommage par des flèches, et après ? On connaît le sort par les astres, et après ? Certes, ce n'est pas ainsi que le Soi est perçu.
Le dard d'Eros est brisé, et après ? L'aiguillon de la colère est émoussé, et après ? L'étreinte du désir est repoussée, et après ? Certes, ce n'est pas ainsi que le Soi est perçu.
La présomption est repue, et après ? Plus rien sur la terre ne nous exalte, et après ? Les affres de l'envie ont disparu, et après ? Certes, ce n'est pas ainsi que le Soi est perçu.
On conquiert le monde de Brahmâ, et après ? On contemple le monde de Vishnou, et après ? On commande dans le monde de Shiva, et après ?Certes, ce n'est pas ainsi que le Soi est perçu.
Celui dans le coeur duquel ce saint dédain du non-Soi sourd constamment et pleinement devient un vase d'élection pour la perception directe du Soi que ne connaîtront pas ici-bas ceux qui s'égarent dans le tourbillon d'un univers illusoire."
Le saint dédain du non-Soi (Anâtma-shrî-vigarhanam), attribué à Shankara, extrait de Hymnes et chants Védantiques, traduits du sanskrit par René Allar, Editions Orientales, Paris, 1977 et republié dans Nirvâna, "Les cahier de l'Herne", sous la direction de François Chenet, Paris, 1993.
13:36 Écrit par David Dubois dans Général | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : shankara, eveil, yoga, tantra | Facebook |